lundi 26 octobre 2009

Il faut l'excuser...

J’ai vingt neuf ans, une belle voiture noire, un diplôme affirmant que je suis intelligente ; j'ai réussi dans la vie. Montée sur mes escarpins, je mesure avec une jouissance sadiquement non dissimulée mon complexe de supériorité. Dans le flot d’une procession de cravates invariables, mes talons vernis côtoient les chaussures cirées des hommes d’affaires. Enrôlée à leurs côtés, je voyage en première classe à bord du capitalisme. La faune locale se pavane en uniforme Armani, les ordinateurs vrombissent, les téléphones portables hululent. Entre fauves, on se gausse à crocs déployés et on vomit notre fierté de travailler pour les grands faiseurs d’argent de ce monde. Les parts de marché galopent, les ventes détalent, les actionnaires rugissent. L’ivresse des profondeurs de la cupidité nous dépouille de toute sagesse ; on exulte !

Dans le ventre de la bête, il y a un certain standing d’hypocrisie à respecter. Je vends de la drogue bon marché, des croquettes pour enfants, enrichies en gras, en sucre ; un peu plus chaque année. Je m’applique à rendre vos chères têtes blondes glucotoxico, lipidoïnoman pour mieux leur vendre ensuite ma cure de desintox ; des croquettes allégées pour adultes. C’est ce que l’on appelle investir sur le long terme, assurer l’avenir. Il faut dire que nous sommes plutôt convaincants. Dans nos publicités, les enfants n’ont ni caries ni bourrelets disgracieux et les ménagères de moins de cinquante ans sont bien plus bandantes que vous. Et quand bien même le doute subsisterait encore dans votre esprit, je vous dirai d’aller consulter votre médecin ; nous le payons pour qu’il vous prescrive ce que nous voulons vous vendre.

J’ai vingt neuf ans et j’empoisonne les autres en même temps que mon âme.

samedi 17 octobre 2009

Laissez la croire encore un peu de temps

Lolita déchue, abusée, désabusée. Ne lui concédez pas trop d'égards, elle pourrait bien commettre l'impudeur. Elle pourrait bien se mettre à pleurer, et dans vos bras en plus de ça ! Vous vous verriez contraint de ravaler votre écœurement et de la consoler un instant, avant de la mettre de côté, à sa place avec ses illusions.

Un peu de clémence messieurs ! Elle ne sait pas encore qu'elle est comme ces filles qui attendent le client sur le pavé mouillé. Ces filles que l'on aime le temps d'une nuit, d'une affection tiède, tachée d'une affectueuse pitié. Le soir, quand vous retournez estimer vos femmes, elles se déshabillent et se couchent seules dans leurs draps froids. Elles ferment les yeux, se recroquevillent et ont des rêves d’Alice. Elles remontent le temps, vont retrouver la chaleur des jupons de leur mère et l'innocence de leurs jeunes années ; le temps des merveilles où elles ignoraient ce que la vie leur réchauffait pour leurs plus vieilles années. Elles oublient, s'oublient, le temps de s'endormir et d'endormir avec elle la vérité des vieilles années.

Laissez-la dormir encore un peu. Elle ne sait pas encore que, de sa vie, elle ne fera jamais qu'effleurer le vœu d'André Breton pour sa fille. Elle ne sait pas encore que, follement aimée, elle ne sera jamais. Elle ne sait pas encore qu' elle ne saura jamais être que ça, la fille d'une nuit.