samedi 14 novembre 2009

Du choix de papillonner...

Minuit, je m'esquive d'un appartement que je n’ai jusqu’alors jamais quitté avant le vieux matin. Ce soir, nous resterons amis. La nuit me regarde rentrer chez moi sagement lorsque :
« 8 rue du paradis code 12A7 escalier B 6ème étage au fond à droite. Viens ». Devant la sollicitation de cet homme dont je ne connais presque rien, mon pas hésite, la sagesse s'évapore. La brume de Belleville gagne mon esprit ; l'envie et la raison s'y disputent. Mais où est l’arbitre ? Qu’il décide à ma place !
" - Vous allez où mademoiselle ?" demanda le chauffeur de taxi.
Un ange passe et emporte avec lui la raison.
" - Rue du Paradis."

Six étages plus haut, un regard sur ma silhouette, un demi sourire sur mes bas...
"- Tu as de jolies jambes."
Deux cigarettes, une main sur mon genou, deux baisers dans le cou...
"- Tu es chargée d’érotisme."
Trois vodka cranberry, une paume sur ma gorge, deux doigts sur les rubans de ma dentelle pourpre...
" - J’ai envie de toi."

Quatre heures du matin ; je renfile mes bas, ma dentelle et mes illusions. Ce que j’aurai le plus aimé ? Contempler le dessin de la grâce sur son visage quand il s'abandonne au plaisir, voir ses paupières s’étreindre et entendre le vent de la jouissance souffler de sa bouche en s’engouffrant, doucement, lentement.

En quittant le paradis, l'ironie de la géographie parisienne se moque de moi. J’aurai le choix entre emprunter la rue de la Fidélité et la rue Papillon. Mais ai-je vraiment eu le choix ?

dimanche 8 novembre 2009

Coup de grâce

Perchée sur mes escarpins vernis, mes formes épousées par ma robe noire, je défie la nuit fraiche. J’arpente la rue du faubourg St Denis pour y retrouver un homme dont j'ignore même le prénom. J'appréhende le numéro 13 de la rue, j’interroge du regard la terrasse bouillonnante animée par les autochtones du dixième arrondissement quand une grande silhouette esseulée happe mon attention. Je rejoins sa table, j’allume une cigarette pour me donner une contenance... Une allure de dandy, des yeux souriants, une assurance qui laisse deviner l’audace et la force. J’aime.

Il me parle de Damas qu’il aimerait tant découvrir, je lui parle de Pekin que j’ai tant aimé feuilleter. Les assauts de la faune hurlante imposent des escales régulières et forcées à nos carnets de voyages mais nous retrouvons toujours le chemin de notre promenade orale. Jusqu’ici la balade est amusante lorsqu'une voix égratignée vient doucement rayer mon oreille. Je ne connais pas cet accent.

- « excusez moi, je n’ai pas pu m’empêcher… je vous ai entendu parler de Damas, vous connaissez ? Je viens moi-même de Syrie ».

Le visage est grêlé ; un coup de burin pour chaque mauvais coup de la vie. Enveloppé dans son blouson de cuir fatigué, il défiait les apparences. Quand un animal ivre échappé de sa meute lui demande s’il écoute Johnny ou Dick Rivers, il répond qu’il préfère Bach ou Schumann. Ses mains noueuses roulent une cigarette de cow-boy ; il nous raconte... Une enfance amère à Damas, un exil en Angleterre pour y abandonner des études d’ingénieur, deux femmes, une anglaise, une française. Il dessinait des fleurs à Edimbourg et puis des verres en cristal à Glasgow. Il nous raconte qu’il n’avait jamais peint de plus beaux paysages qu’en Écosse ; il aimait en fouler la terre vierge et humide, comme s’il en était le pionnier. Et puis, il y a la douleur, celle de l’exilé qui retourne à Damas. Il en revient chaque fois un peu plus orphelin. Il n’aime plus son pays. Déchirure.

Aujourd’hui, il lui reste la sagesse de ses soixante deux ans et de trop rares pièces en poche. Il encombre les terrasses des bistrots et photographie le beau bizarre à Paris. Bientôt, il prévoit de balancer sa dernière salve. Pas de couleurs ni de papier argentique cette fois ; ses dernières cartouches, il les tirera avec des mots. La délivrance ultime.

Il s’appelait Ziad.

Confidences à Shanghai

Début de l’automne, je traverse la nuit mouillée pour aller retrouver Sandrine. Ce soir, c’est dîner de filles en tête à tête. Nous nous faufilons entre deux cerbères en costume noir à l’entrée avant de pousser la porte qui ouvre sur une grande salle. L’obscurité est saisissante. La lumière rare mais douce vient alors nous secourir et nous envelopper d’une chaleur moelleuse. Du rouge opéra tombe sur les murs et des canapés Chesterfield font la sieste sur un immense damier noir et blanc. Les tables rondes et blanches sont les pièces de cet échiquier géant. La féerie de l'instant nous transporte de la nuit froide parisienne à la nuit moite du Shanghai des années trente. On perçoit presque encore les silhouettes fantomatiques des fumeurs d’opium. Tout au long de ce voyage, nous nous laisserons voguer au gré du clapotis de nos vies qui ne se ressemblent pas. Elle me conte ses instants de grâce de jeune maman, je lui dépeins les sommets et les abysses de la vie d’une jeune fille mal rangée. Ce soir, la nuit cotonneuse emportera toutes nos confidences.

Le matin est jeune, il faut débarquer. Sandrine ira poser un baiser sur le front de Cassandre avant d’aller rejoindre le flanc chaud du père de sa fille tandis que je traverserai la nuit mouillée dans l’autre sens pour retrouver la tiédeur de mes draps.