mardi 25 août 2009

La poupée qui fait oui

C’est un jouet. Une poupée qui fait oui. On la sort de son coffre trop grand, on l’habille d’une robe un brin légère, on gribouille du noir sur ses yeux, du rouge sur ses lèvres. Gagnée par la sensualité, elle se perche sur des escarpins qui battent l’asphalte autant que la mesure de sa démarche, féline. Les regards se plaisent alors à s’échouer dans le creux de ses vagues généreuses qu’elle a pourtant peine à dompter.

La nuit tombée, elle s’engouffre dans l’antre du jeu. Elle virevolte entre les parieurs du soir qui lui sourient. Ils s’amusent avec elle, ils s'amusent d’elle. Ils l’enivrent pour se délecter de l’innocence avec laquelle la ravissante sotte lèche ses doigts dégoulinants de vodka caramel. Elle a le tournis. Elle aime ça, avoir le tournis ; l’espièglerie et l’air faussement effarouché qu’il lui donne. Ils la regardent valser avec l’ivresse caressante qui la gagne. L’aube de ses seins dévoilée par sa robe qui se dérobe au rythme du balancement de ses hanches leur donne l’eau à la bouche, liqueur délicieuse. Au milieu de la ronde des joueurs, les mains l’effleurent. Ils l’attirent dans leurs bras, ils la tirent par le bras. Tiraillée entre la crainte et le plaisir de susciter l’envie, elle sait pourtant qu’elle fermera les yeux et s’abandonnera entre les mains du désir, dans le doute, comme toujours.

Les contrastes saisissants lui rouvrent les paupières. L’assourdissante musique s’est soustraite à la douce berceuse d’un appartement plongé dans une lumière aveuglante. Elle s’enivre encore et encore avec deux joueurs qu’elle connaît de près, de loin et qui, dans l’ombre, attendent leur heure. L’ivresse fait son travail, et elle le fait bien, la garce. Caressée par leurs sourires, elle oubliera les mises en garde de monsieur Serge et commettra l’imprudence. Elle s’inclinera devant la poussière d’ange qu’on lui livre et se laissera déshabiller. Doucement, lentement. Et pour qu’elle ne s’effarouche, ils déboutonneront ses peurs, délasseront ses réticences et dégraferont ses chichis. D’une main enjôleuse, l’un dénouera toute tentative de mutinerie pendant que l'autre fera glisser sa pudeur sur le sol. Ils feindront de l’aimer un instant pour qu’elle s’allonge, facile, docile. Elle aime ça, être aimée. Alors le plancher se dérobera fatalement sous ses pieds.

Pénétrant les persiennes, la lumière jaune titubante de la rue s’invite à danser dans l’obscurité de la chambre, ondule sur les peaux et les badigeonne de miel. Sans prévenir, la berceuse prend son air rock’n’roll et fait voler les jupes des convenances. Les draps se défilent sur sa peau et la dépouillent de la timidité qu'il lui reste. Les branches se chevauchent, s’enlacent, les fragrances macèrent dans la chaleur de la chambre close. Étourdie, la poupée regarde les paumes contourner ses pleins, se perdre dans ses déliés. Elle n’arrive plus à compter les doigts qui courent, glissent, s’engouffrent dans sa chair tiède, puis chaude, puis moite comme la nuit qui les emporte dans une vertigineuse caresse des sens. Pendant que l’obscurité avale toutes ses défenses, la musique s’emballe, en rythme avec leurs souffles. La berline qu’ils occupent est lancée à toute berzingue sur l’autoroute de la décadence. On la prend, on la bouscule avec une violence douce. On remplit ses mains de formes obscènes, on la gorge de chair virile. La nuit leur appartient, elle leur appartient. Empoignées ! Les cuisses. Désarticulé ! Le pantin. Ils lui font tous les délices qui peu à peu se soustrairont à tous les supplices. Ils saisissent leur proie, s’engouffrent dans sa chair, la poignardent tour à tour dans une cadence effrénée jusqu’à l’épuisement. La berline suffocante ralentit. Saoule, elle divague un peu pour mieux reprendre son élan avant le hold-up ultime des sens. On lui braque les hanches, on kidnappe ses reins, on prend sa bouche en otage, on dynamite son coffre-fort. Les dents s’accrochent, les langues se délient, les gorges crissent ! La mort est proche. Les mains valdinguent, le sang bouillonne, les claques se perdent dans la nuit sulfureuse qui les entraîne quelque part entre le 40ème rugissant et le 50ème hurlant. Là, ils lanceront l'assaut final. Ça canarde, ça mitraille, ça crie et puis ça coule ! Les braqueurs tombent.

A l’aube, la poupée à la chevelure fauve gît entre deux corps morts. Le noir a coulé sur ses yeux perdus dans la lumière naissante du jour. Elle sait qu’à midi, on la rangera dans son coffre à jouets trop grand et que là, on l'oubliera.

Ils ne l’auront jamais embrassée.



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